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La disparition du leader du Wagner oblige-t-elle la Russie à montrer sa main géopolitique en Afrique ? Le cas échéant, quel pourrait être le modus operandi d’Africa Corps, le nouvel organe de sécurité de la Russie en Afrique ?

Depuis 2017, le groupe Wagner poursuit les intérêts de la Russie en Afrique, du moins officieusement. Cependant, en août 2023, son dirigeant, Yevgeny Prigozhin, est décédé dans un accident d’avion, ce qui a conduit de nombreuses personnes à se demander ce qu’il adviendrait de ses empreintes dans différents pays du continent et de ses nombreuses incursions militaires.

En réponse, le ministère russe de la défense a décidé de donner une nouvelle image aux opérations de Wagner en lançant une nouvelle branche de sécurité appelée « Africa Corps ». Il est envisagé que ce nouveau corps coopte les forces de Wagner qui, au plus fort de leurs opérations africaines, comptaient environ 5 000 hommes.

Qu’est-ce qui a fait le succès du groupe Wagner en Afrique et quel pourrait être donc le modus operandi de l’Africa Corps ?

Wagner avait une approche à plusieurs volets comprenant la présence sur le terrain (« boots on the ground »), un réseau financier sophistiqué, ainsi que le déploiement de diverses technologies. La présence sur le terrain des hommes de Prigozhin se traduisait par des visites personnelles dans les différents pays africains où se déroulaient les opérations.

Les déploiements technologiques de Prigozhin comprenaient l’Internet Research Agency, utilisée pour de nombreuses campagnes de désinformation, notamment pour inonder les plateformes sociales africaines afin d’encourager la suppression des interventions françaises et occidentales dans les affaires des pays du Sahel. C’est cette même organisation qui a été sanctionnée en 2018 par le gouvernement américain pour s’être immiscée dans les élections du pays.

Soutenu par Moscou, Prigozhin a utilisé un réseau de financement sophistiqué pour consolider ses succès militaires. Il contrôlait un réseau clandestin d’opérations minières rentables, de mines d’or en République centrafricaine (RCA) à des mines de diamants au Soudan.

Si ces facteurs peuvent expliquer pourquoi les forces Wagner ont réalisé des percées aussi importantes en Afrique, la disparition de Prigozhin suggère que la tâche principale de l’Africa Corps était de forger un front unifié loyal au commandement de la défense de la Russie. Pour ce faire, il avait besoin d’une nouvelle base militaire. L’intention est de construire une base militaire dans la ville méridionale de Berengo en République centrafricaine pour accueillir environ 10 000 soldats russes, suivant un accord militaire signé durant de fortes opérations Wagner. Le choix de Berengo est stratégique, car la ville dispose déjà d’un aéroport et d’une base militaire, même si celle-ci est quelque peu délabrée.

Il semble que le président centrafricain, Faustin Archangé Touadera, soit lui aussi favorable à cette initiative. Dans une interview accordée à la plateforme d’information allemande DW, Fidele Gouandjika, ministre et conseiller du président Touadera, a déclaré : « nous avons souhaité que la Russie renforce sa présence en RCA pour intervenir en cas de problèmes de terrorisme ou de dirigeants qui veulent déstabiliser les régimes d’Afrique centrale ».

Entre-temps, Paul-Crescent Beninga, l’un des principaux défenseurs des droits civiques en RCA, a critiqué ce plan qu’il considère comme un paradoxe. Il a indiqué qu’il avait l’impression que la RCA venait de changer de dirigeant, « nous avons quitté la France pour nous soumettre à la Russie ».

L’Africa Corps devrait être déployé dans un premier temps dans cinq pays africains : Burkina Faso, Libye, RCA, Mali et Niger. Tous ces pays se sont publiquement désolidarisés des accords militaires français antérieurs. Plutôt que d’explorer d’autres arrangements occidentaux, la Russie est devenue le partenaire privilégié en matière de sécurité. Selon le ministère russe de la défense, 100 soldats russes ont déjà été déployés au Burkina Faso « pour assurer la sécurité du dirigeant du pays, Ibrahim Traoré, et du peuple burkinabé contre les attaques terroristes ». Nesta Podasse, un proche de la junte, a indiqué que les forces russes se trouvaient à Ouagadougou pour former les troupes burkinabés au maniement des armes acquises.

Le vice-ministre de la défense russe, Yunus-Bek Yevkurov, a entamé une offensive de charme en assurant les pays africains que l’Africa Corps était prêt à combler le vide laissé par le groupe Wagner, et il s’est déjà rendu au Niger, en Libye et au Mali. Des visites réciproques de dirigeants africains ont également lieu. Alors que le Tchad avait auparavant adopté une politique pro-occidentale, le président de la junte militaire tchadienne, Mahamat Idriss Déby, a rencontré le président Vladimir Poutine à Moscou en janvier 2024 afin de forger de nouveaux liens bilatéraux.

L’approche globale d’Africa Corps pourrait consister à choisir les domaines dans lesquels la Russie a le plus à gagner en termes d’influence géopolitique et régionale en Afrique par rapport aux pays occidentaux. Par exemple, la Russie pourrait jouer un rôle de faiseur de rois dans les pays du Sahel tels que le Mali, le Burkina Faso et la Libye, cette dernière étant lucrative en raison des revenus tirées de ses champs pétrolifères et de l’accès garanti à la marine nationale russe.

Le recalibrage des opérations de sécurité de la Russie en Afrique montre qu’elle n’est pas isolée, comme le prétend l’Occident. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, a toujours affirmé que Wagner était une société de sécurité privée fournissant des services aux États africains, mais qu’elle n’avait rien à voir avec les opérations de sécurité officielles de la Russie. L’association officielle d’Africa Corps avec le ministère russe de la défense fait qu’il est désormais difficile pour la Russie de nier son implication militaire en Afrique.

Photo : Russie Burkina Faso Défense 07 novembre 2023. Sur cette photo diffusée par le ministère russe de la Défense, le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, rencontre le ministre burkinabé de la Défense, Kassoum Coulibaly, à Moscou, Russie. © IMAGO / SNA
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