À la suite du printemps arabe, la trajectoire des groupes islamistes utilisant des interprétations extrémistes de la religion à des fins sociopolitiques a subi une profonde transformation, marquée par une augmentation temporaire de son influence et une chute quelque peu après. Cette évolution a été suivie d’un engagement renouvelé en faveur du credo Ash’ari, en particulier en Égypte, en Tunisie et au Maroc. Les Ashari mettent l’accent sur la séparation de la politique et de la religion. Les racines historiques et les principes théologiques de l’ash’arisme, ainsi que le contexte des soulèvements arabes, peuvent permettre de mieux comprendre les raisons de cette transformation.
Aly Mahmoud
8 Avril 2024
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Au cours du printemps arabe, qui s’est déroulé en 2011, les groupes islamistes radicaux ont vu leur influence politique augmenter, profitant du mécontentement généralisé et des troubles politiques pour faire avancer leurs idées, notamment le rejet de la laïcité et l’application du Takfir (« charger de mécréance » en arabe) pour qualifier d’autres musulmans, une position adoptée par les extrémistes qui déclarent qu’une personne est un Kafir (« mécréant » en arabe). L’injustice économique et sociétale a été imputée à la déviation du « véritable islam, » et une approche extrémiste a été présentée comme une nouvelle solution dans le sillage de la révolution.
Au fur et à mesure que les groupes islamistes gagnaient en influence, les principales institutions éducatives islamiques, telles que Al-Azhar Al-Sharif en Égypte, Zaytouna en Tunisie et la mosquée Al-Qarawiyyin au Maroc, ont fait l’objet d’un examen minutieux et de pressions. Ces institutions, fondées sur le credo Ash’ari, sont entrées en conflit avec des groupes politiques émergents, suscitant des débats au sein des cercles religieux sur le rôle approprié de la religion dans la gouvernance et la société. Il s’en est suivi des tentatives de contrôle de ces institutions, visant à les dominer et à empêcher toute déclaration ou action susceptible d’affaiblir leur popularité et leur crédibilité, ce qui a conduit à un retrait temporaire de l’influence de ces institutions religieuses.
Mosquée Al-Azhar Al-Sharif au Caire, Égypte, aujourd’hui.
Mosquée Al-AzharMosquée Al-Azhar, Le Caire. La mosquée Al-Azhar a été construite en 970 dans la nouvelle capitale. Carte postale française, imprimée par Cairo Postcard Trust, Le Caire. © IMAGO / Bridgeman Images
Bien que les érudits et la société musulmane s’accordent largement à dire que les islamistes représentent une forme déviée de la pensée islamique, l’augmentation de l’influence politique de ces groupes a exercé une pression sur le credo ash’ari, repoussant ainsi l’influence et les érudits ash’ari.
Historiquement, le credo ash’ari remonte à Abu al-Ḥasan al-Ashʿari, un éminent théologien musulman du Xe siècle. Il est apparu en réponse au rationalisme extrême du credo d’Al Mu’tazilah. Contrairement aux écoles de jurisprudence, c’est-à-dire les écoles hanafi, maliki, hanbali et shafi’i, l’ash’arisme se concentre sur les principes doctrinaux, offrant un cadre qui allie stabilité et flexibilité tout en préservant les enseignements islamiques.
Soutenu par d’éminents savants et écoles sunnites, l’ash’arisme se caractérise par la combinaison de la raison et de la tradition dans l’interprétation et la justification des croyances. Il tire sa compréhension principalement du Coran et de la Sunna, et utilise des principes théologiques dans son interprétation. En cas de conflit entre la raison et la tradition, la raison prime. Cette approche de la théologie fournit un cadre permettant de réconcilier les croyances religieuses avec la gouvernance moderne. Au fil du temps, l’ash’arisme est devenu l’école de pensée théologique prédominante au sein de l’islam sunnite.
Le déclin des groupes islamistes radicaux en Égypte, en Tunisie et au Maroc à la suite du printemps arabe peut être attribué à différents facteurs. Si les lacunes en matière de gouvernance et les divisions politiques ont joué un rôle, ce déclin va au-delà de la simple dynamique politique. Il reflète un nouveau changement au sein des sociétés musulmanes, motivé par un rejet collectif de la politisation de l’islam. Ce réveil passe aussi par un rejet ferme des interprétations fondamentalistes des doctrines islamiques, entachées par la prolifération du fanatisme et des idéologies extrémistes.
Le mécontentement découlant de la mise en œuvre des idéologies fondamentales a suscité une réévaluation, provoquant une résurgence des principes fondamentaux de l’islam tels qu’incarnés par la doctrine ash’ari qui prévaut depuis des siècles et qui a historiquement défendu une compréhension de l’islam qui met l’accent sur la rationalité et rejette la politisation des principes de l’idéologie religieuse. Le rejet des idées islamistes radicales a donc ouvert la voie à un regain d’intérêt pour l’école de pensée ash’ari.
En réponse à ce regain d’intérêt pour l’ash’arisme, diverses institutions ont pu promouvoir et soutenir les enseignements de l’ash’arisme. Il s’agit par exemple d’initiatives et de conférences mondiales parrainées par le Haut Conseil islamique au Maroc visant à diffuser les principes ash’ari en Afrique, ainsi que du Centre Imam Al-Ash’ari en Égypte, créé en 2017. Ce centre de discours intellectuel, d’enseignement théologique et de diffusion de la pensée ash’ari, tant au niveau local que mondial, vise à favoriser une compréhension de l’islam qui réconcilie la foi et la raison.
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Selon une déclaration publiée le 30 août 2016 par le Centre des médias d’Al-Azhar, la plupart des musulmans sunnites, représentant 90 % des musulmans, adoptent désormais le credo ash’ari. Cela s’explique notamment par le fait que l’ash’arisme ne soutient pas les croyances radicales telles que la doctrine du Takfir et qu’il est apprécié par les musulmans conservateurs qui craignent d’être exclus par les groupes extrémistes. En outre, pour les musulmans qui tentent de concilier leur foi avec la vie moderne, l’ash’arisme est un moyen d’honorer la tradition tout en faisant preuve de logique.
La résurgence de l’ash’arisme à la suite du printemps arabe marque un tournant dans le paysage de l’islam politique, signalant un rejet décisif des idéologies exploitant la religion à des fins politiques en faveur d’un retour aux principes de l’islam défendus par le credo ash’ari. Avec des écoles islamiques réputées qui défendent la tradition et la rationalité, la résurgence des partis islamistes radicaux rencontrera des obstacles importants dans un avenir prévisible en Égypte, en Tunisie et au Maroc.