La Russie a été confrontée à la plus grande vague de sanctions économiques occidentales de son histoire. De nombreuses entreprises occidentales ont annoncé leur retrait du marché russe par solidarité avec l’Ukraine et en raison des pressions extérieures. Pourtant, deux ans après le début du conflit, il est évident que toutes les marques n’ont pas quitté le pays. Les annonces publiques de retrait étaient souvent plutôt symboliques et ne reflétaient pas les réalités complexes du terrain.
Murat Gibadyukov
30 octobre 2024
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À la suite de “l’opération militaire spéciale” contre l’Ukraine en 2022, l’Occident a entamé une vague de sanctions contre la Russie. Aujourd’hui, la Russie est confrontée à la plus grande vague de sanctions économiques de son histoire. Comment les entreprises russes se sont-elles adaptées après deux ans de sanctions ? Et combien d’entreprises occidentales se sont réellement « retirées » de la Russie ?
L’une des stratégies les plus courantes employées par de nombreuses entreprises consistait à vendre leurs activités à des opérateurs locaux. Cela leur permettait de maintenir une présence sur le marché, même si, en apparence, cela ressemblait à une cessation complète des activités. Le départ de la chaîne de restaurants McDonald’s en est un exemple emblématique. En 2022, l’entreprise a annoncé haut et fort la vente de tous ses actifs en Russie. Cependant, en quelques mois, les restaurants ont ouvert sous la nouvelle marque « Вкусно и Точка » (Vkusno I Tochka, traduction – Savoureux et c’est tout). Le modèle de travail de base, le menu et même le personnel sont restés pratiquement inchangés. Cela suggère qu’il s’agissait plus d’un changement d’enseigne que d’un retrait complet du marché.
Une situation similaire s’est produite avec d’autres marques internationales. Par exemple, la chaîne de cafés Starbucks a également vendu ses actifs en Russie. Les nouveaux propriétaires ont donné une nouvelle image aux établissements, mais l’entreprise elle-même a continué à fonctionner sur la même base. Ces cas montrent que même lorsque les entreprises internationales semblent partir, elles conservent une part importante de leur présence en transférant des activités à des acteurs locaux.
Une autre stratégie courante est l’utilisation de systèmes de franchise. Le franchisage permet aux grandes entreprises internationales de transférer leurs marques et leurs modèles d’entreprise à des partenaires indépendants dans différents pays. Dans le contexte de la pression exercée par les sanctions, ce modèle est devenu encore plus demandé. Les entreprises qui ont annoncé leur retrait ont conservé la possibilité de gérer indirectement leurs activités par l’intermédiaire de partenaires locaux franchisés. Ainsi, les marques qui ont officiellement quitté le marché russe sont toujours présentes dans les vitrines des centres commerciaux et dans les rues des villes.
Cette approche est particulièrement active dans les secteurs du commerce de détail et de la restauration. Les chaînes internationales continuent d’opérer par le biais d’accords de licence qui permettent aux entrepreneurs russes de conserver leurs formats commerciaux d’origine. Dans ce cas, les entreprises peuvent affirmer qu’elles ne sont plus directement présentes sur le marché, bien que leurs produits et services soient toujours disponibles pour les consommateurs. Par exemple, la chaîne de restauration rapide Burger King reste présente sur le marché russe, car la plupart des restaurants appartiennent à des franchisés locaux et la société de gestion ne peut pas mettre fin à leurs activités. Dans le secteur de l’hôtellerie, la situation est similaire : les grandes chaînes telles que Marriott et Hilton continuent d’être présentes en Russie par le biais de franchises, où les hôtels sont gérés par des opérateurs indépendants, malgré les décisions des entreprises de suspendre leurs activités.
Les importations parallèles ont pris une importance particulière dans le contexte des sanctions et du retrait des marques étrangères. Il s’agit d’un mécanisme par lequel des produits d’entreprises étrangères sont importés dans le pays via des pays tiers sans le consentement officiel du fabricant ou de ses représentants. Après l’imposition de sanctions et l’annonce du retrait d’un certain nombre d’entreprises, le gouvernement russe a légalisé cette pratique, ce qui leur a permis de conserver l’accès à une large gamme de produits internationaux.
Les importations parallèles sont devenues un outil important, en particulier dans des domaines tels que l’électronique, les voitures et l’habillement. Par exemple, malgré le retrait officiel d’Apple, ses produits continuent d’entrer en Russie par l’intermédiaire de distributeurs en Turquie, au Kazakhstan et dans d’autres pays qui ne soutiennent pas les sanctions. Les voitures BMW et Mercedes sont également toujours disponibles sur le marché russe grâce à des livraisons par le biais d’intermédiaires. La situation est similaire pour un certain nombre de biens de consommation, notamment les vêtements et les cosmétiques.
Ainsi, le retrait des entreprises internationales n’a pas entraîné de pénurie de leurs produits. Les importations parallèles maintiennent l’approvisionnement du marché, bien que les prix de ces produits soient souvent plus élevés en raison des coûts logistiques et des droits de douane supplémentaires.
Certaines entreprises ont trouvé d’autres moyens de maintenir leur présence sur le marché russe tout en évitant de s’y impliquer directement. Bien qu’elles aient officiellement mis fin à leurs activités, elles continuent à générer des revenus par le biais d’accords de licence, de redevances ou d’autres types d’obligations contractuelles. Dans ce cas, les entreprises conservent leur propriété intellectuelle et en tirent profit sans gérer directement l’activité. Par exemple, Nestlé, qui a annoncé qu’elle mettait fin à une partie importante de ses activités, continue de générer des revenus par le biais d’accords de partenariat et de paiements de licences. La situation est similaire pour le fabricant de cosmétiques L’Oréal, qui a réduit ses activités en Russie mais a conservé des canaux d’approvisionnement par l’intermédiaire de distributeurs locaux. Dans l’industrie automobile, des entreprises comme Toyota et Volkswagen, qui ont suspendu leur production et leurs ventes directes, continuent de générer des revenus grâce à la fourniture de pièces détachées et de services organisés par des partenaires locaux.
Dans certains cas, les marques restent même légalement propriétaires de leurs actifs, mais en transfèrent la gestion à des entreprises locales, contournant ainsi les sanctions et maintenant leurs activités. Cela leur permet de minimiser les pertes et de maintenir leur influence sur le marché russe sans violer leurs obligations légales à l’égard des pays qui soutiennent les sanctions.
« Qu’est-ce qu’un nom, vraiment ? Les entreprises occidentales ont trouvé des moyens de contourner les sanctions et de rester en Russie en utilisant des noms de sociétés et des structures juridiques différents. Dans Roméo et Juliette de William Shakespeare, la protagoniste féminine fait la célèbre déclaration qui est entrée dans la langue anglaise comme une expression idiomatique quotidienne : « Qu’est-ce qu’un nom ? » Juliette parlait de son amour, Roméo, et disait qu’elle ne se souciait pas de savoir comment il s’appelait. La pièce est centrée sur la querelle entre les deux familles Montague et Capulet. Roméo serait le même homme merveilleux sans son nom. L’expression en est venue à signifier qu’un nom en soi n’a pas de valeur intrinsèque et ne définit pas l’essence d’une entité ou d’une personne. De même, le nom sous lequel les entreprises occidentales opèrent aujourd’hui en Russie est devenu secondaire par rapport aux produits, biens et services qu’elles distribuent.
Bien que les annonces de retrait massif des entreprises étrangères de Russie soient devenues un élément important de la pression économique exercée sur le pays, dans la pratique, nombre d’entre elles ont continué à opérer par le biais de divers mécanismes. Les ventes d’actifs, les franchises et les importations parallèles ont permis aux marques occidentales de maintenir une présence significative sur le marché russe, bien que sous une forme légèrement modifiée. Cela démontre que les liens économiques mondiaux sont si complexes et interdépendants qu’une rupture complète des relations entre les pays est difficile à réaliser, même face aux sanctions et à la pression politique.