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Le projet de l’Albanie de créer à Tirana un micro-État de type Vatican pour l’ordre Bektashi pourrait-il révolutionner la liberté religieuse ou s’agit-il d’une distraction politique face à l’agitation croissante dans le pays ? Cette initiative sans précédent sera-t-elle un modèle de coexistence pacifique entre la religion et l’État ou ouvrira-t-elle la porte à des problèmes de gouvernance et de favoritisme ?

Le premier ministre albanais, M. Rama, pourrait tenter de détourner l’attention des troubles politiques et sociaux croissants dans le pays en proposant la création d’un micro-État au sein de Tirana, la capitale de l’Albanie. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, M. Rama est confronté à une vague de protestations, les manifestants appelant à sa démission sur fond d’allégations de corruption et d’autoritarisme. Ces manifestations se sont intensifiées et des affrontements ont éclaté entre la police et les manifestants à Tirana. Cette décision pourrait-elle être une distraction stratégique, un moyen de présenter l’Albanie comme un champion de la liberté religieuse et de la tolérance tout en minimisant les échecs du gouvernement ?

Le nouveau micro-État souverain de Tirana s’inspire du Vatican, siège de l’Église catholique romaine. Il sera le siège de l’ordre des Bektashi, une secte musulmane soufie ayant de profondes racines historiques dans la région. Le Premier ministre Edi Rama a annoncé cette initiative le 21 septembre 2024, la qualifiant d’étape historique qui offrirait à l’Ordre Bektashi un niveau d’autonomie sans précédent. Lors d’un discours à l’Assemblée générale des Nations unies le 22 septembre, M. Rama a décrit le micro-État comme : « un nouveau centre de modération, de tolérance et de coexistence pacifique ».

Toutefois, ce projet ambitieux soulève plusieurs questions complexes sur la relation entre souveraineté, religion et gouvernance. Le projet, imaginé par le religieux musulman Edmond Brahimaj, également connu sous le nom de Baba Mondi en Albanie, vise à accorder à la communauté bektashi un statut unique similaire à celui du Vatican à Rome, fonctionnant de manière indépendante au sein de l’Albanie. Le micro-État, qui s’étend sur 27 hectares au cœur de Tirana, disposerait de ses propres structures de gouvernance et pourrait délivrer ses propres passeports, ce qui serait une première dans le monde musulman.

L’ordre bektashi, qui mêle des éléments islamiques à des traditions locales et à un mysticisme, remonte au XIIIe siècle et est depuis longtemps implanté en Albanie. Malgré les persécutions dont elle a fait l’objet à différents moments de son histoire, l’ordre a maintenu une présence significative, en particulier dans les Balkans et au sein de sa diaspora. Pour le Premier ministre Rama, cette initiative pourrait renforcer l’image de l’Albanie en tant que société pluraliste qui défend la liberté religieuse dans une région souvent marquée par des tensions religieuses.

Alors que la proposition est considérée comme une solution créative pour promouvoir la tolérance religieuse par de nombreux chercheurs tel que Albert Rakipi, président de l’Institut albanais d’études internationales, la question cruciale de savoir si l’Albanie peut équilibrer la souveraineté du micro-État avec ses lois nationales reste posée. Dans un pays majoritairement laïc, la création d’un micro-État religieux pourrait susciter des craintes de favoritisme, ce qui risquerait d’aggraver les divisions au sein de la société. En outre, l’opposition au projet a dépassé les frontières de l’Albanie, la communauté musulmane de Serbie exprimant sa vive désapprobation, arguant qu’un tel micro-État fait partie d’un plan d’Edi Rama visant à renforcer le pan-albanisme. Les Bektashis de Turquie ont également critiqué la proposition, estimant que le concept d’État est incompatible avec les principes du bektashisme.

L’idée d’un « État souverain des Bektashis » peut offrir un modèle théorique de coexistence pacifique entre la religion et l’État, mais sa mise en œuvre pratique présente des risques importants. Si le modèle du Vatican a bien fonctionné pour le catholicisme, le reproduire pour l’ordre de Bektachis au sein d’une nation à majorité musulmane est sans précédent. En outre, cette initiative intervient à un moment où l’Albanie est confrontée à des difficultés internes croissantes, ce qui suscite des interrogations sur les motivations réelles de ce projet.

Photo : L’Albanie propose un nouvel État musulman au cœur de sa capitale TIRANA, ALBANIE – 29 septembre 2024. Vue du Bektashi World Center à Tirana, siège international de l’ordre soufi Bektashi. Le Premier ministre albanais Edi Rama a révélé son intention d’établir l’État souverain de l’Ordre Bektashi sur un terrain de 27 hectares dans l’est de Tirana, avec ses propres frontières, ses passeports et son administration, à l’instar de la Cité du Vatican. © IMAGO / NurPhoto
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