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L’Égypte et le Soudan s’opposent depuis longtemps à l’accord de coopération sur le Nil. Les tensions régionales se sont aggravées lorsque l’Égypte a affirmé que la construction par l’Éthiopie d’un barrage de 4 milliards de dollars sur le Nil Bleu menaçait son approvisionnement en eau.

Depuis de nombreuses années, le Nil est une source de discorde entre les pays riverains (ceux qui bordent le Nil). Plusieurs pays en amont, tels que l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, le Burundi, le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), soutiennent depuis longtemps que des accords datant de l’époque coloniale ont injustement accordé à l’Égypte et au Soudan, deux pays en aval, des droits plus importants sur l’accès au Nil.

En 1929, le premier traité sur le Nil a été signé par l’Égypte et le Royaume-Uni au nom du Soudan, leur colonie à l’époque. Ce traité obligeait les pays riverains en amont à reconnaître les droits historiques et naturels de l’Égypte et du Soudan à utiliser les eaux du Nil. Après l’indépendance du Soudan en 1956, l’Égypte et le Soudan ont renégocié le partage des eaux du Nil, ce qui a abouti au traité de 1959, qui attribue 75 % des eaux du Nil à l’Égypte et le reste au Soudan.

Ce traité est toujours en vigueur aujourd’hui, mais les différends concernant l’accès aux eaux du Nil ont conduit à la création de l’initiative du bassin du Nil en 1999. L’objectif était de réunir tous les pays riverains, avec l’Érythrée en tant qu’observateur, pour élaborer un cadre sur le partage équitable des eaux du Nil afin d’éviter les conflits. Le 14 mai 2010, l’accord-cadre de coopération pour le bassin du Nil a été ouvert à la signature, mais l’Égypte et le Soudan ont refusé de le signer, arguant que l’accord-cadre violait les accords de 1929 et de 1959 sur le Nil, ainsi qu’un arrêt de 1989 de la Cour internationale de justice (CIJ) selon lequel les accords sur l’eau jouissent de la même immutabilité que les accords frontaliers, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être révoqués ou modifiés sans l’accord de toutes les parties concernées.

Cependant, suite à la ratification par 6 des 10 pays riverains du Nil – l’Éthiopie, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda, le Burundi et le Soudan du Sud – l’accord de libre-échange est officiellement entré en vigueur le 13 octobre 2024. Le statut juridique de l’accord a également été confirmé par l’Union africaine (UA). L’Égypte et le Soudan continuent de rejeter catégoriquement l’accord, et bien que la République démocratique du Congo et le Kenya ne l’aient pas encore ratifié, le quota de ratification a été atteint.

Le 12 octobre, dans une déclaration commune exprimant leur mécontentement, la Commission technique mixte permanente égypto-soudanaise sur les eaux du Nil (PJTC) a appelé tous les pays du bassin du Nil à « restaurer l’intégrité de l’initiative de 1999 sur le bassin du Nil et à s’abstenir de toute action unilatérale susceptible d’exacerber les divisions entre les pays d’amont et d’aval ». Se référant aux États ayant ratifié l’initiative, elle a ajouté que la « Commission des six États » ne pouvait en aucun cas être considérée comme représentative de l’ensemble du bassin du Nil.

Plus grave encore, la construction du Grand barrage éthiopien de la Renaissance (GERD), qui a débuté en 2011, a renforcé l’opposition du Soudan et surtout de l’Égypte, qui dépend du Nil pour 98 % de son approvisionnement en eau. L’Éthiopie a construit le GERD, d’une valeur de 4 milliards de dollars, sur le Nil Bleu, un affluent majeur du Nil. Aujourd’hui achevé à près de 90 %, le barrage est considéré par l’Éthiopie comme vital pour son développement économique. L’Éthiopie prévoit de l’utiliser pour produire l’électricité dont elle a tant besoin et insiste sur le fait qu’il ne représente aucune menace pour les réserves d’eau en aval. L’Égypte et le Soudan, en aval, considèrent l’existence du GERD comme une menace pour leur part des eaux du Nil et exigent un accord contraignant pour limiter le remplissage et l’exploitation du barrage.

L’Éthiopie n’a pas encore proposé un tel accord et le barrage est considéré comme un facteur clé pour mobiliser d’autres pays en amont afin qu’ils ratifient l’accord de libre-échange. Le 13 octobre, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a appelé les pays non signataires à se joindre à l’effort, décrivant l’accord comme une « famille du Nil » qui promeut la coopération régionale pour l’utilisation équitable des ressources du Nil. Dans un discours prononcé lors de la semaine de l’eau du Caire à la mi-octobre, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sisi a souligné que la sécurité de l’eau était la priorité absolue de l’Égypte et que son pays ne pouvait pas se permettre de « perdre une seule goutte d’eau ».

Plutôt que de rejeter purement et simplement l’accord de libre-échange, l’Égypte et le Soudan ont proposé d’autres solutions, en citant des modèles africains de gestion des eaux transfrontalières, tels que les bassins des fleuves Zambèze et Sénégal, comme exemples de coopération efficace. Toutefois, quelle que soit la validité de ces propositions, il pourrait être difficile d’amener d’autres pays en amont à accepter les propositions de l’Égypte et du Soudan. Les pays en amont considèrent que l’Égypte et le Soudan ont déjà un accès plus libre aux eaux du Nil.

Les implications géopolitiques plus larges du différend sur le Nil ne peuvent pas être négligées.  L’Égypte considère l’Éthiopie comme un rival géopolitique régional et a déjà cherché à coopérer militairement avec la Somalie pour contrer son influence dans la Corne de l’Afrique. La Somalie a également accueilli favorablement l’offre de l’Égypte de fournir des soldats de la paix à la Mission de l’Union africaine pour le soutien à la stabilisation en Somalie (AUSSOM), qui remplacera la Mission transitoire de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) en décembre 2024. Une résolution des Nations Unies a mis en place une nouvelle mission africaine de maintien de la paix. Cet accord a été négocié par le président turc Recep Tayyip Erdoğan fin décembre 2024 et permettra aux troupes éthiopiennes de participer à la mission de maintien de la paix.

Pourtant, les relations entre la Somalie et l’Éthiopie sont loin d’être normalisées. Après l’adoption de la résolution, le député somalien Ayub Ismail Yusuf a demandé l’exclusion de l’Éthiopie de la force de maintien de la paix sur X : « Aucune nation ne peut faire confiance à une autre lorsque sa souveraineté a été menacée par elle ».

L’engagement militaire croissant de l’Égypte en Somalie, y compris la fourniture d’armes et de soldats de la paix, constitue un contrepoids à l’influence régionale de l’Éthiopie, en particulier après la signature par l’Éthiopie d’un accord d’accès au littoral du Somaliland en vue d’y installer une base navale. L’Éthiopie a déjà exprimé son inquiétude quant au rôle de l’Égypte en Somalie, craignant qu’il ne déstabilise la région et ne menace ses propres intérêts stratégiques, notamment l’accès à la mer Rouge et à la GERD.

Le rejet par l’Égypte et le Soudan du nouveau cadre du Nil et les manœuvres militaires de l’Egypte en Somalie exigent une intervention immédiate de l’Union africaine. Si l’UA n’utilise pas son architecture de paix et de sécurité et n’engage pas les principales parties prenantes dans un dialogue constructif, il est fort possible que des hostilités régionales éclatent.

Photos : Le drapeau de l’Égypte, du Soudan et de l’Éthiopie flotte dans le ciel. Le différend sur les eaux du Nil. © IMAGO / Dreamstime
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