Depuis son entrée en fonction, Giorgia Meloni a attiré l’attention tant au niveau national qu’international pour ses politiques migratoires. Son approche pragmatique a servi d’exemple pour le nouvel accord européen sur l’immigration et le droit d’asile. Les États membres sont parvenus à un consensus sur le fait que les pays situés à la frontière extérieure de l’UE ne peuvent être laissés seuls face au déluge de migrants entrant illégalement dans l’UE par la route méditerranéenne. La question de l’immigration clandestine touche tous les Européens et sera au cœur des prochaines élections parlementaires européennes de juin 2024.
Silvia Caschera
18 Avril 2024
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L’Italie, tout comme la Grèce, subit l’immigration clandestine de plein fouet en raison de sa frontière extérieure de l’Union européenne. La route de la Méditerranée centrale est le chemin le plus fréquemment emprunté par des migrants qui tentent d’atteindre l’Europe, l’Italie étant une des principales portes d’entrée.
Ces dernières années, le nombre d’arrivées de migrants en situation irrégulière a considérablement fluctué, avec un pic en 2016 et 2017, lorsque 180 000 et 119 000 migrants ont débarqué sur les côtes de la péninsule italienne, faisant de l’Italie la première destination migratoire en 2017 avec 67 % des entrées dans l’UE. Si les arrivées ont grandement diminué en 2019 (avec 11 471 nouveaux migrants), l’afflux migratoire a repris de manière plus constante depuis 2020.
Avant de prendre ses fonctions en 2022, Mme Meloni était très critique à l’égard de la politique migratoire de l’UE. Depuis qu’elle est devenue Premier ministre de l’Italie, Mme Meloni a elle-même reconnu publiquement que ses promesses électorales concernant l’immigration n’avaient pas été tenues jusqu’à présent. La complexité de la question et la volonté d’éviter les solutions à court terme ont incité son gouvernement à trouver le soutien souhaité au-delà de ses frontières, en Albanie et en Afrique.
Et Mme Meloni a remporté un franc succès. Non seulement a-t-elle joué un rôle déterminant pour développer le plan d’aide de 7,4 milliards d’euros accordé à l’Égypte pour maintenir les migrants dans ce pays et les éloigner des côtes européennes, mais l’Albanie et l’Italie sont également parvenues à un accord pour empêcher les migrants d’entrer sur le territoire de l’Union européenne.
L’accord UE-Égypte a été signé lors du sommet Égypte-UE qui s’est tenu au Caire le 15 mars 2024. Meloni, le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et les dirigeants de l’Autriche, de la Belgique, de Chypre et de Grèce ont participé à ce sommet. A travers cet accord, l’UE fournira notamment une aide sous forme de subventions et de prêts à l’Égypte pour lui permettre de renforcer ses frontières, en particulier avec la Libye, et pour l’aider à accueillir les Soudanais qui ont fui leur pays. Plus de 460 000 Soudanais ont fui vers l’Égypte depuis avril 2023.
Mme Meloni a qualifié l’accord d’historique, déclarant que « c’est aussi le meilleur moyen de faire face au problème de l’immigration clandestine et de lutter contre les trafiquants d’êtres humains. Le meilleur moyen est de réaffirmer le droit des citoyens du continent africain à ne pas immigrer vers l’Europe, et c’est quelque chose que nous ne pouvons faire qu’avec le développement. »
Le 17 janvier 2024, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a vu l’approbation d’un projet de loi qu’il a soumis en vue de l’expulsion des immigrés clandestins vers le Rwanda. Il partage avec Meloni la conviction que seule une révision à l’échelle européenne des règles internationales en matière d’asile peut apporter un soutien à ceux qui en ont vraiment besoin.
Tout comme le Royaume-Uni a trouvé un partenaire au Rwanda, Meloni a trouvé un allié au-delà de l’UE. L’Albanie est prête à accueillir les migrants recueillis dans les eaux italiennes et en attente de droit d’asile. L’accord a évidemment suscité la controverse parmi les organisations internationales qui défendent et garantissent les droits de l’homme. Les législateurs de la Cour constitutionnelle albanaise l’ont même opposé, et ont fait valoir qu’il violait la constitution en transférant des territoires et des pouvoirs étatiques à un autre pays. Néanmoins, l’accord a finalement été approuvé le mois dernier. Etonnamment, Bruxelles a apporté son soutien à l’accord. Ursula Von der Leyen a salué l’initiative comme « un exemple original, basée sur le partage équitable des responsabilités parmi tous les pays. »
Ce rapprochement entre l’Italie et Bruxelles semble avoir atteint de nouveaux échelons de coopération et de dialogue. La Première Ministre a joué un rôle central dans l’approbation de l’accord européen sur l’immigration et le droit d’asile que le Parlement européen a adopté le 10 avril 2024. La réforme, qui a connu de nombreux échecs au cours de la dernière décennie, est désormais célébrée en Europe comme un succès historique. À l’heure où l’immigration est l’une des questions les plus importantes auxquelles l’UE est confrontée, cette dernière s’est ralliée aux demandes de solidarité de l’Italie auprès des autres États membres, que ce soit en termes de soutien financier ou d’accueil des migrants. Les pays situés aux frontières extérieures de l’UE ne seront plus laissés seuls face à l’afflux massif de migrants qui tentent d’entrer dans l’UE.
Ce nouvel accord européen garantira des frontières extérieures sûres, des procédures rapides et efficaces, y compris aux frontières extérieures de l’UE, avec des règles d’asile claires, et une meilleure identification à l’arrivée avec des contrôles de sécurité et de santé obligatoires. En outre, les États membres pourront choisir de contribuer financièrement ou d’assumer la responsabilité des demandeurs d’asile.
Toutefois, Mme Meloni n’est pas entièrement satisfaite des efforts de l’UE et, dans sa quête d’une reconnaissance générale en tant que femme d’État conservatrice internationale, fait cavalier seul en relançant le plan Mattei – une initiative des années 1950 où l’Italie soutenait le développement de certains pays africains dont la croissance économique facilitait à son tour l’indépendance énergétique de l’Italie. Présenté en janvier 2024 lors d’un sommet à Rome devant 20 dirigeants africains et des représentants de l’Union européenne, ce plan d’investissement de 5,95 milliards de dollars pour l’Afrique vise à inciter les migrants de rester dans leur pays d’origine. Rome espère que l’élargissement et le renforcement de la coopération avec le continent africain dans les secteurs de l’énergie, du développement et des infrastructures permettront de freiner les flux migratoires, de diversifier les sources d’énergie et de forger une nouvelle relation plus égalitaire entre l’Europe et l’Afrique. Ce modèle pourrait également être suivi par l’UE ou d’autres États frontaliers de l’UE.
Empêcher les migrants de s’embarquer pour la dangereuse traversée de la Méditerranée permettra de sauver des vies, de réduire les coûts, de lutter contre les gangs criminels et d’encourager l’immigration légale vers l’UE. L’Organisation internationale pour la migration (OIM) a déclaré qu’au moins 3041 personnes sont mortes en 2023 en essayant de traverser la Méditerranée. Depuis 2014, l’OIM estime qu’au moins 28 320 hommes, femmes et enfants morts en tentant de rejoindre l’Europe.
La position de Mme Meloni sur l’immigration a fait l’objet de débats et de changements au fil du temps, mais il est évident qu’elle a joué un rôle clé dans l’élaboration du discours européen sur ce sujet. Initialement considérée comme une eurosceptique qui isolerait l’Italie des autres pays, Mme Meloni a au contraire établi de multiples dialogues avec la présidente de la Commission européenne et a influencé les décisions européennes en matière d’immigration.
L’Italie est une destination clé sur la route migratoire vers l’Europe. L’approche de Meloni, qui consiste à soutenir les pays africains afin de réduire l’afflux de réfugiés économiques, est devenue un modèle pour de nombreux dirigeants européens. À l’approche des élections parlementaires européennes de juin, la question de l’immigration clandestine dans l’UE restera l’un des sujets les plus pressants pour les électeurs. Alors que les conditions économiques continuent de se dégrader, le système de protection sociale européen et ceux qui y cotisent ne pourront ou ne voudront pas continuer à soutenir les réfugiés économiques qui cherchent une vie meilleure dans l’UE.