Le récent viol collectif d’une militante des droits de l’homme dans une prison afghane, filmé pour la réduire au silence, souligne les horreurs auxquelles sont confrontées les femmes afghanes sous le régime des talibans. Les appels à une action mondiale urgente et coordonnée pour lutter contre ces violations des droits de l’homme sont quasiment inexistants. Le silence de la communauté internationale est assourdissant. Où est l’indignation mondiale ?
Meric Sentuna Kalaycioglu
8 août 2024
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Un rapport conjoint publié le 3 juillet 2024 par The Guardian et Rukhshana Media décrit l’horrible incident qu’une militante afghane des droits des femmes a dû endurer lorsqu’elle a été filmée en train de subir un viol collectif dans une prison talibane par deux hommes armés. La militante, arrêtée pour avoir participé à des manifestations publiques contre les talibans, a déclaré que la vidéo avait été enregistrée sur un téléphone portable et qu’elle lui avait ensuite été envoyée comme une menace pour l’empêcher de s’exprimer contre le régime.
Filmé dans le but d’intimider et de réduire au silence la victime du viol, ce dernier crime odieux illustre l’oppression systématique dont les femmes font l’objet sous le régime taliban. Bien que les Nations unies aient annoncé l’ouverture d’une enquête sur ces allégations, la réponse de la communauté internationale à ces atrocités reste d’une tiédeur alarmante, ce qui soulève des questions cruciales quant au degré d’inquiétude de la communauté internationale.
Cet incident n’est que le dernier cas en date d’une femme agressée par les talibans après avoir été placée en garde à vue par la police morale des talibans. Nombre de ces agressions se sont soldées par la mort de la femme. En décembre 2023, Marina Sadat a été arrêtée par les talibans. Son corps a été découvert des semaines plus tard à l’intérieur d’un sac dans un canal. Elle avait été agressée sexuellement avant d’être tuée.
La mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan avait déjà documenté les horribles traitements subis par les femmes dans les prisons gérées par les talibans dans le nord de l’Afghanistan. Le 2 février 2024, les Nations unies ont publié un rapport intitulé « Afghanistan : La répression des talibans à l’encontre des femmes pour cause de « mauvais hijab » doit cesser ». Le 6 décembre 2021, un rapport détaillé d’Amnesty International (AI) a révélé le démantèlement systématique des systèmes de soutien aux victimes de viol, ce qui aggrave leur isolement et l’absence de recours à la justice.
Depuis le retrait désastreux des États-Unis en août 2021, les talibans ont imposé des mesures d’oppression draconiennes aux femmes, réduisant à néant deux décennies de progrès. Les femmes n’ont pas accès à l’éducation au-delà de la sixième, à l’emploi dans la fonction publique et même à des libertés sociales de base telles que se rendre dans un parc sans un homme de la famille, pratiquer un sport ou bien utiliser les bains publics. Ces restrictions ont plongé les femmes afghanes dans des niveaux de répression sans précédent, comme l’a rapporté iGlobenews en avril 2023 (« The Taliban’s Afghanistan 2023 : Thank you America ! »).
Le viol reste une crainte profonde pour les femmes en Afghanistan, où un couvre-feu culturel les maintient constamment à l’intérieur après 18 heures. Les familles afghanes privilégient souvent leur honneur au détriment du bien-être des victimes de viol, ce qui entraîne d’autres abus, voire des « crimes d’honneur ». En exploitant la stigmatisation sévère des survivantes, les talibans utilisent stratégiquement et efficacement le viol comme outil pour supprimer et réduire au silence les militantes des droits de l’homme détenues pour avoir protesté contre le régime.
L’imposition de sanctions économiques aux talibans est un sujet controversé. Si de telles mesures pourraient paralyser le régime, elles risquent également d’exacerber la crise humanitaire en affectant les citoyens afghans ordinaires. Néanmoins, l’inaction actuelle est tout aussi problématique, car elle encourage les talibans à poursuivre leurs politiques d’oppression sans crainte de répercussions.
Bien que le Conseil de sécurité des Nations unies, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Programme alimentaire mondial et Amnesty International aient appelé les talibans à lever les restrictions imposées aux femmes, ces appels restent sans effet s’ils ne s’accompagnent pas de sanctions économiques ou de pressions politiques.
En réponse aux informations faisant état de violations des droits des femmes en Afghanistan, Agnès Callamard, secrétaire générale d’AI, a souligné le 17 juin 2024, dans un message sur X, la nécessité de reconnaître l’apartheid du genre comme un crime au regard du droit international. Cette reconnaissance, a-t-elle fait valoir, renforcerait les efforts déployés pour lutter contre les régimes qui oppriment et dominent systématiquement sur la base du genre. Mme Callamard a déclaré qu’Amnesty International se joignait aux appels lancés par des défenseurs courageux, notamment des femmes d’Afghanistan, d’Iran et d’ailleurs, qui ont été à l’origine de la demande de reconnaissance de l’apartheid fondé sur le genre dans le droit international.
Ces voix isolées n’ont pas encore été en mesure de susciter des actions tangibles. L’absence de couverture médiatique et d’indignation publique laisse présager une baisse d’intérêt pour la crise humanitaire afghane. Même le mouvement féministe mondial, qui a défendu de nombreuses causes dans le monde entier, semble largement absent de ces questions urgentes.
La réunion des envoyés spéciaux pour l’Afghanistan, qui s’est tenue en février 2024 à Doha, au Qatar, a été boycottée par les talibans après que les Nations unies eurent invité des groupes de la diaspora afghane et des organisations de la société civile, y compris des militants des droits des femmes, à y participer. À l’époque, les Nations unies avaient minimisé l’importance de ce boycott, mais elles ont aujourd’hui considérablement modifié leur stratégie de dialogue avec les talibans.
La réunion suivante des envoyés spéciaux, qui s’est tenue à Doha les 30 juin et 1er juillet 2024, a été présidée par Rosemary DiCarlo, secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, représentant le secrétaire général. Les discussions précédentes n’avaient abouti à aucun résultat en raison du refus des talibans de participer au processus si leurs conditions strictes n’étaient pas remplies. Pour s’assurer de la participation des talibans, les Nations unies ont adopté une approche sensiblement différente. L’ONU a exclu les discussions sur les droits des femmes afghanes et n’ont pas inclus de représentants de la société civile, de femmes ou de défenseurs des droits de l’homme.
Une « Note aux correspondants » publiée le 21 mai 2024 sur le site web des Nations unies souligne que la conférence de Doha de juin/juillet sera axée sur les relations diplomatiques avec les Talibans, avec une importance minimale accordée aux questions des droits de l’homme. Reflétant l’insistance des Talibans à écarter ces sujets de l’ordre du jour, il s’agissait notamment d’éviter de mettre l’accent sur les restrictions sévères imposées à l’éducation des femmes et aux droits des femmes en Afghanistan. Les Nations unies ont en fait cédé à la pression des talibans, abandonnant une fois de plus les femmes afghanes.
Dans les jours qui ont précédé la conférence, la décision a été fortement critiquée, notamment par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui s’est déclaré très préoccupé par cette exclusion, avertissant qu’elle réduirait encore plus au silence les femmes et les filles afghanes. Human Rights Watch a également qualifié l’exclusion des femmes de « choquante ».
L’avenir des femmes afghanes dépend d’un engagement mondial en faveur de la justice et de l’égalité. L’approche actuelle de l’ONU suggère une évolution vers la reconnaissance du rôle des talibans tout en mettant à l’écart la société civile non talibane, les femmes et les organisations vouées à la défense des droits de l’homme. Des groupes locaux et internationaux de défense des droits de l’homme et des droits des femmes se sont ainsi inquiétés du fait que la communauté internationale pourrait donner la priorité à un engagement politique avec les talibans plutôt que de s’attaquer à la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les femmes et les filles afghanes.