Skip to main content

La faiblesse de l’État, l’accès facile aux armes à feu et l’indifférence à l’égard des mécanismes de résolution de conflit font que les groupes militants, plutôt que les États, sont les principaux acteurs dans diverses zones de la région du Sahel. Pour trouver une solution viable, la coopération des parties concernées est nécessaire. Mais la question demeure : cela suffira-t-il pour obtenir la paix et la prospérité dans l’une des régions les plus pauvres et plus vulnérables d’Afrique ?

Selon plusieurs médias, le changement climatique fait des ravages inimaginables dans la région du Sahel, et les concepts de « guerres climatiques » et de « guerres environnementales » deviennent omniprésents. Tout en reconnaissant que les conflits peuvent être, et ont été, exacerbés par les conditions climatiques difficiles dans le Sahel, il existe des preuves qui suggèrent que la sécurité plutôt que le changement climatique serait la principale préoccupation de la région.

La région du Sahel, qui couvre de nombreux pays tels que le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, la Gambie, la Guinée, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal, abrite un mélange de régimes autoritaires, de diverses factions armées, ainsi que des insurrections djihadistes. Les principaux dirigeants de la région ont déjà connu de nombreux coups d’État depuis 2020 : deux au Burkina Faso et au Mali, un au Tchad et un autre en Guinée.

Selon Alexander Clarkson, chercheur au King’s College de Londres, des groupes d’insurgés islamistes au Mali sont déjà en train de former des gouvernements fantômes. Les rapports de Human Rights Watch et de l’International Rescue Committee suggèrent également que des groupes armés contrôlent environ 40 % du Burkina Faso. Des centaines de civils et de militaires ont été trouvé mort au Tchad et au Niger à la suite d’attaques terroristes. En 2022, plus de 6 000 personnes ont fui leur domicile en Gambie et au Sénégal en raison des combats entre les soldats sénégalais et les séparatistes dans la région frontalière de la Casamance. Le Nigeria est aux prises d’une faction islamiste appelée Boko Haram dans sa région septentrionale, une menace pour la sécurité qui s’étend au-delà de sa frontière orientale à des pays tels que le Cameroun, le Tchad et le Niger. Les chiffres de l’Armed Conflict Location et du Event Data Project (ACLED) montrent une augmentation de 200 % de la violence depuis 2020 dans la région, avec plus de 4,5 millions de déplacements forcés.

Tel est le portrait actuel de la situation sécuritaire du Sahel et l’avenir n’est pas prometteur. Il est aggravé par un assortiment de groupes djihadistes qui se métamorphosent presque chaque semaine, notamment Ansar Dine, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et l’État islamique dans le Grand Sahara, qui contrôlent différentes parties du Sahel, du centre du Mali jusque Grand Bassam en Côte d’Ivoire. Il n’est donc pas surprenant que les pays de cette région figurent en bonne place dans l’index du Conseil norvégien pour les réfugiés intitulé « La crise migratoire la plus négligée au monde. »

Selon le rapport 2018 Etude des organisations militantes (Mapping Militant Organizations) du Centre de Sécurité et Coopération Internationales de Stanford, ces groupes et leurs nombreuses ramifications ont tendance à s’affilier à Al-Qaïda et à ISIL/ISIS. Ils visent à instaurer la charia dans leurs zones d’opération. Leur principale source de recrutement est constituée par les groupes qui se sentent politiquement marginalisés dans la région. Il s’agit principalement de groupes nomades tels que les Touaregs, les Fulanis, les Tubus, les Dossaaks et les Zermas. Ces mêmes groupes ethniques sont au centre des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la région. Les conflits entre agriculteurs et éleveurs tournent souvent autour de l’utilisation des terres (pâturage contre culture) et de l’accès à l’eau, et sont donc encore aggravés par les conditions climatiques difficiles décrites dans le rapport « Analyse Prédictive du Sahel » des Nations Unies de 2022.

L’atténuation des conditions climatiques d’une telle gravité nécessite un plan ciblé et complet. Cependant, un tel plan ne sera pas viable s’il n’aborde pas simultanément la question de la sécurité au Sahel.

La combinaison d’un Etat fragile, de l’accès aux armes à feu et d’un mépris pour les mécanismes de résolution de conflit a fait des djihadistes, plutôt que les forces de l’ordre, les acteurs qui appliquent la loi dans diverses parties de la région. En raison du manque de ressources et de personnel de sécurité gouvernemental, l’État islamique dans le Grand Sahara est intervenu dans les régions frontalières reculées du Mali, du Nigeria et du Burkina Faso. Selon le rapport 2023 de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, l’État islamique a pris en charge la résolution des conflits entre les éleveurs et les agriculteurs concernant les vols de bétail, l’utilisation des terres et la destruction des récoltes par le bétail. Une telle situation laisse beaucoup à désirer, car en l’absence d’une autorité uniforme l’Etat devient inutile.

L’incapacité des puissances étrangères à apporter des solutions globales en matière de sécurité ne fait qu’exacerber les changements de pouvoir djihadistes dans le Sahel. Depuis plus d’une décennie, la France, les États-Unis, l’Union européenne et la Russie ont tous tenté des interventions militaires au Sahel, à la fois de manière bilatérale ainsi que dans le cadre d’efforts conjoints. Leurs objectifs étaient de renforcer l’appareil sécuritaire des différents États, d’endiguer les insurrections djihadistes et de relever les défis de l’immigration clandestine vers l’Europe, mais ils n’ont guère eu de succès. En 2013, l’opération Serval, menée conjointement par l’armée française et l’armée malienne, a permis de reprendre des territoires aux groupes militants islamistes dans le nord du Mali, mais ces mêmes groupes ont repris beaucoup de ces territoires après le départ des forces françaises en août 2022.

Au Tchad et au Niger, la France a mis en place l’opération Barkhane, qui comprend sa plus grande base à l’étranger, avec plus de 4 500 soldats déployés dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme dans la région. Cette opération implique également l’Allemagne, les États-Unis et ainsi que certains pays du Sahel. Mais le Mali est une omission notable en raison des relations détériorantes avec la France qui ont conduit au retrait des forces françaises du Mali. Une autre initiative satellite de lutte contre le terrorisme, l’opération Sabre, est basée au Burkina Faso. Malheureusement, malgré l’existence de ces mesures antiterroristes, les coups d’État récurrents et les problèmes de sécurité dans la région n’ont pas été réduits.

Face à ces défis sécuritaires persistants, couplés à des interventions militaires ratées, la seule solution plausible est peut-être une approche coordonnée soutenue par un engagement politique de la part des dix pays de la région.

Une ébauche existe déjà sous la forme de la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S). Impliquant cinq pays, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, les deux aspects qui diluent son efficacité sont le manque de coordination et la faible capacité financière. En outre, comme les défis sécuritaires s’étendent aux frontières des dix pays du Sahel, il est impératif que les parties prenantes élargissent le G5 pour inclure tous les pays de la région.

Photo : Mali – au cœur de Barkhane, opération Eclipse Barkhane. En plein désert sahélien, une patrouille conjointe entre les soldats français de la force Barkhane et les soldats des Forces armées maliennes (FAMa) du G5 Sahel. Des soldats maliens discutent avec un officier français. Mali, Gourma (région des trois frontières), janvier 2021. Photographie de Frederic Petry Hans Lucas. © IMAGO / Hans Lucas
Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner