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La France est à un tournant. L’impressionnante ascension politique de M. Macron en 2017 a brisé le système traditionnel à deux blocs qui régissait la politique française. Sa dernière initiative, qui a consisté à convoquer des élections anticipées après sa défaite aux élections européennes de juin 2024, a plongé le paysage politique français dans la tourmente. Trois blocs plus ou moins égaux ont été élus au second tour des élections législatives, créant un triangle ingouvernable. On ne sait toujours pas qui sera le prochain Premier ministre de la France et quel parti parviendra à former un gouvernement capable de gouverner. Les conséquences pour la France ne pourraient être plus sérieuses.

M. Macron a perdu son pari. Les résultats du second tour des élections législatives françaises du 7 juillet en ont surpris plus d’un et ont alimenté un sentiment de chaos et d’ingouvernabilité. Avec la montée des crises intérieures et extérieures, les tensions idéologiques et politiques à tous les niveaux et l’élection d’un triangle ingouvernable au parlement, la France se trouve à un point critique de sa 5ème République ce qui, d’une manière ou d’une autre, changera la façon dont le pays fonctionne et est gouverné.

L’évolution constitutionnelle de la France

Sous la 5ème République française (1958-aujourd’hui), le système politique est tel qu’il favorise les grands partis ou les grands groupes politiques. À droite, le parti traditionnellement le plus dominant, aujourd’hui appelé Les Républicains, est enraciné dans les traditions « gaullistes ». A gauche réside le parti socialiste créé en 1969 qui, jusqu’à ces dernières années, était le parti dominant de la gauche.

La 5ème République est née en 1958 à l’occasion de l’adoption d’une nouvelle Constitution et suite aux échecs de la 4ème République. Sous la 4ème République, les cabinets ministériels étaient dissolus fréquemment, les affaires législatives stagnaient et la France en devint ingouvernable. C’est pourquoi, lorsque la nouvelle Constitution fut rédigée pour la 5ème République, les pouvoirs du président ont été considérablement renforcés afin d’éviter des deadlocks et de garantir un pouvoir exécutif plus stable.

En 2008, une réforme constitutionnelle a été adoptée par le Parlement sous la responsabilité du gouvernement de M. Sarkozy (Les Républicains – parti de droite). Cette réforme a donné lieu à une nouvelle répartition des pouvoirs institutionnels, notamment en faveur du Parlement, auparavant plus faible. Au fil du temps, les pouvoirs du président se sont réduits, tandis que le rôle et l’importance du Parlement, y compris des partis d’opposition représentés, se sont accrus.

La présidence d’Emmanuel Macron

En 2017, M. Macron, un candidat centriste, a bousculé le système en obtenant un nombre presque égal de voix de la gauche et de la droite. Son nouveau mouvement politique a considérablement nui aux socialistes et aux Républicains, traditionnellement forts. Lors des élections législatives, le parti d’Emmanuel Macron et son groupe ont remporté environ 350 sièges (sur 577), bousculant à nouveau la structure traditionnelle du Parlement en retirant des sièges aux partis fortement représentés jusqu’alors. Il a également obtenu une majorité absolue, considérée comme nécessaire pour gouverner en France.

Depuis 2017, le parti de Mme Le Pen, le Rassemblement national (extrême droite), est passé de moins de 10 sièges au Parlement à 88 en 2022, et LFI (extrême gauche) de 17 à 75. Cette tendance vers les extrêmes n’a pas été atténuée par les nombreuses crises qui ont frappé la France pendant la présidence de M. Macron, notamment les manifestations des gilets jaunes, le COVID, la réforme des retraites, la guerre en Ukraine, la dégradation des relations avec le Sahel, etc.

En 2022, bien que réélu à la présidence, M. Macron a perdu sa majorité absolue au Parlement et a dû faire face à une opposition importante de l’extrême gauche et de l’extrême droite.

Par l’intermédiaire du Premier ministre, Emmanuel Macron a contourné le Parlement 23 fois en 18 mois pour légiférer en utilisant la règle du 49:3 autorisée par la Constitution (sa deuxième plus grande utilisation dans l’histoire). En vertu de cette règle, le Premier ministre peut suspendre le débat sur un projet de loi et le considérer comme adopté, à moins qu’une motion de censure ne soit déposée et votée favorablement contre le gouvernement au pouvoir. Pour beaucoup, l’utilisation récurrente et continue de cette règle est un affront au processus démocratique de la part du camp présidentiel. L’impopularité de M. Macron s’en est trouvée accrue.

Les élections de 2024

Les élections européennes de juin 2024 ont été marquées par une lourde défaite d’Emmanuel Macron. L’extrême droite a obtenu un tiers des voix, tandis que son propre groupe ne recueille que 15 % des suffrages. Le président, contre l’avis de deux des ses premiers ministres, Édouard Philippe et Gabriel Attal, a dissous l’Assemblée Nationale et convoqué des élections anticipées un mois plus tard, en juillet 2024.

Dans les premiers jours qui ont suivi l’annonce de M. Macron, trois partis de gauche ont uni leurs forces autour de LFI (extrême gauche), appelé le nouveau Front populaire. Le LFI est extrêmement clivant en France et, selon le New York Times, son fondateur, M. Mélenchon, est peu apprécié par 73 % des Français. À droite, Les Républicains se sont opposés au dirigeant de leur parti (Eric Ciotti) qui a conclu une alliance avec l’extrême droite de Mme Le Pen 48 heures après la dissolution du Parlement et sans aucune consultation avec le reste de la direction du parti.

Le Nouveau Front Populaire (menée par LFI) a obtenu le plus grand nombre de sièges (182) comme groupe. Le groupe de M. Macron est arrivé en deuxième position (168), perdant ainsi 60 sièges, et l’extrême droite de Mme Le Pen ainsi que certains députés Les Républicains qui l’ont rejointe sont arrivés en troisième position (143). Malgré cette troisième place, l’extrême droite, en tant que parti individuel, a obtenu le plus grand nombre de sièges.

Ces résultats établissent une triangulaire désastreuse et sans majorité réelle laissant le pays avec des questions sans réponse.

Qui gouvernera la France ?

Le Premier ministre Gabriel Attal a démissionné à la suite des élections, bien que M. Macron lui ait demandé de rester jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement. Le Nouveau Front Populaire, qui pensait gouverner en raison de leur résultat, a lutté pendant des semaines pour se mettre d’accord sur le nom d’un premier ministre pour que finalement, leur choix soit rejeté par Emmanuel Macron le 26 août en raison du risque d’une motion censure immédiate à l’Assemblée Nationale.

Bien que M. Macron continue de rencontrer les dirigeants de tous les partis et qu’il ait peut-être tenté de négocier une alliance entre Les Républicains (droite) et son propre groupe, cette démarche n’a pas non plus abouti et serait confrontée à une motion de censure probable. Il semble donc que toute coalition mécontenterait le reste du Parlement et conduirait à des motions de censure, comme sous la 4ème République.

En l’absence d’une majorité absolue, les partis qui ont uni leurs forces pour rester au pouvoir ne semblent pas l’avoir fait pour des raisons idéologiques. Cela soulève de sérieux doutes quant à la pérennité d’une alliance et à la possibilité de faire passer des lois au Parlement sans recourir à la règle du 49:3. En outre, de nombreux partis/groupes ont déclaré qu’ils refuseraient de négocier les uns avec les autres.

Après la dissolution du Parlement, Emmanuel Macron se retrouve isolé, y compris au sein de son propre parti. Sa position en tant que président de la République est affaiblie. Avec un pouvoir exécutif anémié et un Parlement dans une impasse, la France semble être revenue à l’état de crise et d’ingouvernabilité de la 4ème République. Les ramifications de cette situation politique seront capitales pour le destin de cette 5ème République.

Photo : France, Paris – 3 août 2024. Un monument en l’honneur de Charles de Gaulle, président de la France (1959-1969), avec l’un des quadriges en bronze au sommet du Grand Palais en arrière-plan. Viktor Ivanov TASS Copyright : IMAGO / ITAR-TASS
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