À l’approche des élections législatives européennes de juin 2024, la Commission européenne et le Parlement européen ont désespérément tenté de rallier les suffrages des agriculteurs. Les agriculteurs ne sont pas impressionnés par la proposition de révision de la politique agricole commune (PAC) de l’UE et par le plafonnement des importations de céréales et de volailles ukrainiennes. Les coûts énergétiques, la réglementation environnementale et le traitement spécial accordé à l’Ukraine continuent de susciter la colère des agriculteurs européens.
Bruce McMichael
21 Mars 2024
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Les agriculteurs européens sont en colère. Ils se sentent dépossédés et impuissants et ont une longue liste de griefs de plusieurs années si ce n’est des décennies. Ils craignent que leur secteur ne soit déconnecté des législateurs qui travaillent dans des villes telles que Berlin, Bruxelles et Budapest.
Les élections européennes approchent et l’UE s’efforce d’apaiser les agriculteurs en colère. La Commission européenne a annoncé le 15 mars 2024 qu’elle réexaminerait les conditionnalités de la PAC. Elle espère parvenir rapidement à un accord sur ces nouvelles mesures avec le Conseil et le Parlement européen.
Mme Von der Leyen, qui est candidate à sa réélection et a été désignée par le Parti populaire européen (PPE) le 7 mars 2024, a apporté son soutien aux agriculteurs. « La Commission continuera à soutenir fermement nos agriculteurs. » Notant que ces changements à la PAC étaient nécessaires pour rester « flexible » et répondre aux « réalités changeantes. »
Les modifications proposées à la PAC rendraient volontaire la part non productive des terres arables, permettraient aux agriculteurs de choisir la rotation ou la diversification de leurs cultures et accorderaient aux États membres une plus grande flexibilité dans la définition des « périodes sensibles » et dans l’exemption de certaines cultures, de certains types de terre ou de certains systèmes agricoles. La Commission a également proposé d’exempter les petites exploitations de moins de 10 hectares des contrôles et des sanctions liés au respect des exigences de la PAC.
Ces nouvelles propositions visent à apaiser les agriculteurs qui protestent contre les nouvelles lois environnementales strictes, le manque de soutien financier pour la hausse des prix, la désignation d’hectares en jachère de terres cultivables, la spécification de la taille des poulaillers, la gestion des haies, ainsi que l’augmentation des taxes sur les produits phytosanitaires (plantes nécessitant des certificats de santé) et l’irrigation. Dans le même temps, l’exonération fiscale sur le gasoil des tracteurs prend fin et l’inquiétude grandit quant aux conséquences probables des accords de libre-échange avec des partenaires de l’UE, qui n’imposent pas ces normes strictes en matière d’environnement et de bien-être des animaux aux importations.
Après près d’un quart de siècle de négociations, l’accord commercial UE/MERCOSUR a été suspendu lors du sommet de Rio de Janeiro en décembre 2023. Le président français Emmanuel Macron a déclaré que l’accord n’offrait pas suffisamment de garanties environnementales.
Plus près de nous, la guerre en Ukraine a des effets sur le commerce, étant donné que le grenier à blé de l’ancienne Union Soviétique peut désormais vendre des marchandises et des céréales à l’UE sans droits de douane. Cette mesure a été approuvée en 2022 pour permettre à l’économie ukrainienne de continuer de fonctionner, mais l’effet sur les agriculteurs européens a été désastreux. Les coûts de l’énergie et des engrais ont augmenté dans le monde entier en conséquence de la guerre.
Le 20 mars 2024, le Parlement européen a renouvelé pour une année supplémentaire l’exemption pour les céréales et la volaille ukrainiennes. Le « frein à main » proposé par l’UE pour arrêter les niveaux d’importation sans taxes pour les céréales et la volaille n’a pas apaisé les agriculteurs. Les agriculteurs roumains et polonais continuent de bloquer les passages frontaliers avec l’Ukraine afin d’inverser le traitement spécial accordé à l’Ukraine par l’UE.
Les manifestations semblent avoir un certain effet. En France, les augmentations prévues des taxes sur les carburants ont été repoussés et en Allemagne, elles ont été supprimées. Les agriculteurs ne reculent pas malgré les propositions de l’UE.
Entre-temps, Rishi Sunak est devenu le premier Premier ministre britannique depuis plus de 15 ans à s’adresser à l’influente conférence annuelle de la NFU (National Farmers Union) à la mi-février 2024. Comme partout dans l’Union européenne, la communauté agricole britannique subit la pression de la hausse des coûts de l’énergie et des engrais, des supermarchés qui exigent des prix plus bas et d’un régime de paiements agricoles post-Brexit difficile à gérer. À l’instar des agriculteurs de l’Union européenne, de nombreux Britanniques estiment que la politique environnementale a pris le pas sur la productivité alimentaire.
Alors que des élections générales sont prévues cette année, M. Sunak et son parti conservateur au pouvoir tiennent à se placer du côté des agriculteurs, en promettant 220 millions de livres sterling pour de nouveaux programmes de productivité alimentaire, des investissements dans les technologies agricoles et l’automatisation afin de « réduire la dépendance à l’égard des travailleurs étrangers. »
Les élections nationales qui se sont tenues fin 2023 aux Pays-Bas ont permis à un nouveau parti agricole populiste de droite de recueillir 19 % des voix dans un pays où seulement 2,5 % de la main-d’œuvre travaille dans l’agriculture. Le mouvement des agriculteurs-citoyens, connu en néerlandais sous le nom de BoerBurgerBeweging (BBB), lutte contre les propositions de lois sur l’azote. Pourquoi ? Car l’élevage intensif de vaches laitières et de porcs a entraîné la production de grandes quantités de fumier azoté, ce qui se traduit par des niveaux dangereusement élevés d’azote dans le sol et dans l’air. Les producteurs laitiers sont soumis à une forte pression politique concernant les émissions de gaz à effet de serre et sont menacés de fermeture.
Les fermes familiales du Royaume-Uni et de toute l’Europe estiment que le puissant secteur des supermarchés a trop d’influence sur les gouvernements, qui considèrent l’agriculture comme un secteur de grandes entreprises promouvant l’agriculture industrielle. En France, des milliers de petites fermes ne sont pas représentées. Nombre d’entre elles se sont tournées vers les réseaux sociaux ce qui alimente la diffusion de théories du complot et de fausses informations. En revanche, plus de 200 syndicats agricoles ont participé aux manifestations de février à Delhi.
Mais au cœur de l’Europe, les grèves et les manifestations ne se limitent pas à l’agriculture. Les agriculteurs européens ne sont qu’une partie d’un déclin plus important et à plus long terme des entreprises européennes, l’agriculture ne représentant que 1,4 % du PIB de l’Union européenne. Dans le même temps, environ un tiers du budget de l’UE est consacré au secteur agricole. Un tiers du budget de la PAC reste affecté à des actions volontaires visant à faire progresser les objectifs en matière d’environnement, de climat et de bien-être animal.
La souffrance des agriculteurs est réelle et il n’y a pas de solution facile dans une mondialisation où les marges bénéficiaires sont de plus en plus réduites. Les agriculteurs de l’UE continuent de protester car les réformes ciblées de la PAC proposées par l’UE et le « frein à main » sur les importations ukrainiennes ne répondent pas à leurs demandes.